#Test- Les préceptes de Schopenhauer

Requête de David, essaie de tirer son amie chômeuse de la tendance à la déprime.

Parfois, ton amie chômeuse reçoit des requêtes qui l’accompagnent pendant des semaines, voire des mois. Un client a voulu tester ma volonté d’accéder à l’ascèse et m’a proposé de vivre selon les préceptes édictés par Schopenhauer dans ses Aphorismes sur la sagesse dans la vie.

Ton amie chômeuse s’est fait un plaisir de le commander à la librairie du coin (occasion rêvée pour faire semblant d’être une intellectuelle débordée « ah mince, je ne l’ai pas, je peux vous le commander mais je ne l’aurai que mardi… ça ira ? » « mmmh… oui, bon, ça ira. »).

Ensuite, une fois le livre entre les mains, j’ai réalisé que ça faisait 10 ans que je n’avais pas lu de philosophie. J’ai dû faire face à une petite montée de stress à base de « en suis-je encore capable ? », « vais-je faire le terrible constat de la déperdition de mes neurones ? », etc.

Heureusement, pour lire Aphorismes sur la sagesse, nul besoin d’être balèze : dès l’introduction, Schopenhauer prévient qu’il ne va pas faire preuve ici d’autant de sérieux et de rigueur métaphysique que dans le reste de sa « véritable philosophie ». Rassurée, ton amie chômeuse a néanmoins espéré qu’il ne se foutrait pas trop de sa gueule quand même.

J’ai été échaudée par quelques réflexions qui trouvent sans doute des éléments d’explication dans le contexte historique (« ouais mais tu vois à l’époque, ça ne choquait personne le racisme… qu’est-ce que tu peux être 21ème siècle dans ta manière de penser, c’est dingue »).

Alors, oui, certainement, ton amie chômeuse manque de perspective, mais il n’empêche qu’elle a un peu buté sur deux-trois concepts :

– Schopi pense que les hommes naissent intelligents ou pas (dans la grande majorité des cas ce sont des brutes ignares), c’est une inégalité à laquelle on ne peut rien. Bon. Il dit aussi que l’homme « supérieur » n’a pas besoin de la compagnie des autres pour vivre heureux, il trouve en lui-même les ressources de son divertissement et de son bien-être. Soit. Pour bien enfoncer le clou, Schopi prend l’exemple des « nègres », ces « faces noires et camardes » « intellectuellement arriérées », et bien les nègres adorent se coller les uns aux autres, ce qui prouve bien que le stade ultime de l’évolution, c’est l’isolement.

– Schopi nous explique que les femmes, incomplètes par nature, attendent tout des hommes. Ainsi, le troupeau des femmes, avec le bon sens instinctif qui caractérise les bestiaux, s’est mis d’accord pour ne jamais avoir de rapports hors mariage. Si certaines femmes acceptent de s’offrir à des hommes sans qu’ils leurs passent l’anneau au doigt, quel autre moyen de pression les autres pourront-elles faire valoir pour être enfin gratifiées de la présence d’un homme à leurs côtés (et ainsi donner un sens à leur existence) ?

Du coup ton amie chômeuse s’est dit que merci mais non merci, ça ne servait à rien de se taper des arguments pareils quand la psychanalyse et la pilule sont passées par là et quand les écrits de nombreux sages plus politiquement corrects sont arrivés jusqu’à nous, non mais oh.

Reste que c’est remarquablement bien écrit… On trouve des citations de Goethe, de Voltaire, de Shakespeare ou de Pétrarque toutes les deux pages, elles sont traduites et expliquées, c’est plutôt agréable (et on en a pour son argent en matière d’érudition)… Ton amie chômeuse a donc quand même poursuivi sa lecture. Et doit bien admettre qu’elle a adoré.

Quand le fond n’est pas intéressant (voir ci-dessus), on peut toujours se délecter de l’élégance et bien souvent, de la drôlerie des formules. Ricaner dans le métro quand on a un livre de Schopenhauer entre les mains produit un bel effet sur les co-voyageurs (c’est comme de rire à une blague France Culture, sauf que souvent vous êtes tout seul, alors que dans le métro, vous avez un public – la classe -).

Exemple : « La solitude offre à l’homme intellectuellement haut placé un double avantage : le premier, d’être avec soi même, et le second, de n’être pas avec les autres. »

Exemple encore :
« Pour le dire en passant, élever un monument à un homme de son vivant, c’est déclarer que pour ce qui le concerne on ne se fie pas à la postérité. »

On a été prévenue que Schopi n’avait pas l’intention de révolutionner la philosophie avec ce livre, ses aphorismes ont un autre bénéfice, ils sont galvanisants. On en sort avec un sentiment de puissance, et avec une envie irrépressible de vivre la vie pour ce qu’elle est (et en brandissant un doigt d’honneur au reste de l’humanité… Enfin, moi ça m’a fait ça.).

Ton amie chômeuse regarde son livre et ne peut pas compter le nombre de pages qu’elle a corné, annoté, relu… Je n’oublie pas la requête, et voici les préceptes que j’ai fait graver au-dessus de mon lit depuis que Schopi est mon BFF* :

– « L’essentiel pour le bonheur dans la vie, c’est ce que l’on a en soi-même ». Plus besoin de se faire chier à partir à la découverte de l’autre, ça tombe bien, ton amie chômeuse est malade en transport. «(Le) centre de gravité (de l’homme heureux) tombe tout entier en dedans de lui-même ».

– « L’existence proprement dite, c’est le loisir » (et non le travail).

– « La fortune patrimoniale atteint sa plus haute valeur lorsqu’elle échoit à celui qui, doué de forces intellectuelles supérieures, poursuit des desseins dont la réalisation ne s’accommode pas d’un travail pour vivre». Ton amie chômeuse la tenterait bien « amie rentière », pour voir si elle serait pas dotée de forces intellectuelles supérieures, des fois.

– Ce que l’on est pour les autres n’existe qu’indirectement », et seulement si on le laisse avoir une influence sur nous. « Attribuer une haute valeur à l’opinion des hommes, c’est leur faire trop d’honneur. »

– « Dans tout ce que nous faisons comme dans tout ce que nous nous abstenons de faire, nous considérons l’opinion des autres avant toute chose presque, et c’est de ce souci qu’après un examen plus approfondi nous verrons naître environ la moitié des tourments et des angoisses que nous ayons jamais éprouvés. ». Grave.

Et enfin :
– « Ce n’est qu’au terme d’une période de notre existence, parfois de la vie entière que nous reconnaissons la véritable connexion de nos actions (…) nous ne faisons à un moment donné que ce qui à ce moment-là nous semble juste et convenable (…) ».

Voilà qui arrange ton amie chômeuse qui n’a jamais su faire de plans (ni de vie, ni de carrière, ni de commentaires composés). Prochain entretien d’embauche (Dieu m’en préserve) où la raclure des RH me demande ce que c’est que ce CV-patchwork au juste, je lui balance du Schopi. Bim.

Aphorismes sur la sagesse dans la vie, Arthur Schopenhauer

Info utile :
* BFF : Best Friend Forever. Ami lecteur tu n’as jamais vu le film Clueless ou quoi ?

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5 commentaires

  1. mon BFF est Einstein : « tout est relatif ».
    @amiechomeuse : juste merci d’avoir été « actrice » dans le reportage d’envoyé spécial sur france 2. Je me sens moins « seule » : j’étais hyper contente à la fin de mon CDD, mais ce n’est pas politiquement correct,…

    1. @Barbouille : 🙂
      On s’en fout du politiquement correct. Suis bien contente de t’avoir aidé à te sentir moins seule (BFF Einstein : excellente blague !! Les gens mauvais n’ont pas d’humour, nous sommes des bons. CQFD.)

  2. Nous sommes le 1er Janvier 2011: Bonne année a mon amie chomeuse.
    Je viens seulement aujourd’hui de vous decouvrir en regardant le reportage sur le net ( d’envoyé special). vite alons voir sur le site…. Tres chouette post sur Schopi….j’aime bien votre style
    d’ecriture.

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