Accouchement – suite et fin

Ami lecteur, grâce au chômage, je peux aussi te raconter les détails que tu n’avais pas demandés sur la maternité. J’ai tout mon temps. Alors je vais commencer par le moment où je me suis vidée de la moitié de mon sang sur le parquet (hip hip hip ?).

Quand tu m’as quittée, j’étais sur un lit d’hôpital molletonné d’une largeur de 110cm, je venais d’accoucher et j’étais en pleine forme. Des amis venaient tous les jours pour faire sauter les bouchons de champagne, le petit Jean-Coude passait de bras en bras. Parfois, on appelait l’anesthésiste à la volée dans le couloir pour lui proposer un verre (« Oh Seb ! Viens donc boire un coup ! »). On était bien, on était chez nous, comme si avions loué un appartement au sein de l’Hôpital américain.

Au bout de quatre jours, hélas, il a fallu retourner dans notre clapier parisien. Le père de l’enfant s’est moqué de ton amie chômeuse parce que j’ai eu la gorge serrée au moment de dire au revoir, comme à la fin d’une colo. Après un bref passage à la caisse (11 000€) (une paille), une bise au bagagiste en livrée nous ayant accompagnés au taxi, nous sommes rentrés chez nous. Tous les trois.

Quand soudain, la flaque

Dix jours plus tard, j’allais toujours bien ; je chialais gentiment à chaque fois que je passais aux toilettes à cause de l’épisiotomie, mais rien de trop méchant. Lorsque d’un coup d’un seul, en me levant du fauteuil où j’étais en train de bouquiner, une flaque de sang impressionnante est tombée entre mes jambes.
« – Qu’est-ce que c’est que ça ?! (le père de l’enfant)
Je vais tacher le parquet (moi, sens des priorités) ».

Clopin-clopant, je me suis dirigée vers la salle de bain, laissant de grandes traces rouges sur mon passage. Je ne sentais rien, mais ça coulait beaucoup. Et vite. Le père de l’enfant a commencé à paniquer, il a même intimé au fils hurlant de la boucler pour le laisser réfléchir, alors que le fils ne comprenait rien au français, il était âgé de 200 heures.
« – J’ai peur que tu perdes connaissance ! a-t-il crié depuis le salon, tandis que je m’installais dans le bac de douche.
Non non ça va, j’appelle les urgences gynéco de Tenon », que j’ai annoncé.

Des blocs de matières sanguinolentes sortaient de moi comme d’une usine à saucisse. La dame de l’hôpital à qui j’ai parlé m’a doctement expliqué qu’il était normal de perdre du sang après un accouchement ; j’ai essayé de lui faire comprendre que ça coulait à la vitesse d’un robinet ouvert, elle m’a suggéré de rappeler dans trente minutes. En raccrochant, j’ai perdu connaissance.

J’ai été réveillée quelques secondes plus tard par les claques de mon compagnon qui a dit : « C’est bon, j’appelle ma mère ! », puis, de manière plus opportune : « Non, j’appelle le Samu ! ». Je sombrais et revenais à moi en alternance. J’avais l’impression que mon corps entier était en train de se dissoudre et que mon esprit cherchait déjà un autre pointe de chute, un qui se tiendrait mieux. Les pompiers sont arrivés en dix minutes à peine. Quand ils m’ont trouvée gisante dans mon sang, la tête appuyée contre le carrelage, j’ai prononcé cette phrase historique : « Je crois que je me suis chiée dessus ». Ce n’était pas faux.

Après l’hôpital de riches, l’hôpital tout court

Je ne me souviens plus comment, mais j’ai été portée jusqu’à une ambulance, où un pompier était manifestement chargé de me maintenir en éveil en me racontant tout ce qui lui passait par la tête (« Qu’est-ce que vous pensez des nouveaux abribus ? Moi je les trouve moins bien. Et vous ? Hein ? Moins bien, non ? »). Arrivée aux urgences, on m’a installée sur un autre brancard, dans une salle d’attente bondée de femmes, surtout enceintes. Mon jogging gris était imbibé de sang jusqu’aux genoux, et je commençais à me demander si tout cela n’allait pas mal tourner.

Une jeune doctoresse avec un fort accent de l’Est est venue me trouver après un quart d’heure qui m’a semblé une éternité.
« – Vous pouvez vous lever ?
– Non, pas sans m’évanouir.

Elle a réfléchi une seconde.
Eh bien, il faut vous lever quand même, parce que je ne vais pas arriver à vous porter. »
Je me suis levée, je me suis évanouie ; elle est allée chercher deux infirmiers en râlant.

Une demi-douzaine de personnes en blouse blanche ont défilé devant l’écran d’échographie, étonnées d’une telle perte de sang dix jours après l’accouchement – apparemment, si ça doit arriver, ça arrive plus tôt. Pendant qu’elle discutait avec sa consœur devant mes jambes écartées, la doctoresse à l’accent de l’Est a fait un truc aux frontières du réel : elle a tiré sur le fil de la cicatrice d’épisiotomie, ce qui m’a fait hurler de douleur. « Les bords de la plaie étaient un peu écartés, je les ai resserrés. Je vais vous faire un point », a-t-elle annoncé en sortant son matériel de couture. Inutile de te dire qu’elle a travaillé sans anesthésie.

A ce stade, ami lecteur, je ne faisais plus du tout la maligne. Personne ne savait expliquer ce qui m’arrivait, j’avais Chucky la poupée maléfique entre les jambes, je perdais encore beaucoup de sang. J’ai pensé que je ne reverrai peut-être pas mon fils. La cheffe de service est arrivée, elle a tranché en quatre secondes : « Au bloc, tout de suite. On fait une aspiration utérine ». J’ai demandé si ça nécessitait une anesthésie générale – ton amie chômeuse n’aime pas tellement ça -, on m’a répondu que oui.

Quelques heures plus tard, l’utérus propre et brillant de mille feux, j’étais dans une chambre d’hôpital immense, meublée de façon minimaliste (par exemple, il n’y a pas de serviette éponge, dans un hôpital de non-riches). Une infirmière hyper sympa m’a expliqué que j’avais échappé de peu à une transfusion sanguine. Avant de quitter ma chambre pour me laisser dormir, elle a dit : « On est vraiment des abruties, nous les femmes. Vous feriez subir ce que vous venez de vivre à un homme, il n’aurait plus jamais d’enfant. Vous, je parie que vous y retournez dans moins de trois ans ». Si j’en avais eu la force, j’aurais proposé qu’on parie.

Il était une fois la vie, cette farceuse

Alors que s’est-il passé ami lecteur ? Selon toute vraisemblance, un morceau de placenta était resté accroché à son rocher, ce qui a provoqué ce que l’on appelle une métrorragie quand il s’est détaché. Mais ce n’est même pas sûr. Mon amie C., gynécologue de son état, dit que je n’ai pas eu de bol, mais que ce n’est pas nécessairement de la faute du gynécologue qui m’a accouchée. Lequel conteste l’hypothèse du morceau de placenta, arguant qu’il pouvait s’agir d’un caillot de sang. Bref, je n’en saurai jamais rien. Je suis rentrée chez moi après une nuit à l’hôpital, fatiguée comme je ne l’avais jamais été.

Si tu as regardé le dessin animé Il était une fois la vie, ami lecteur, tu sais que les globules rouges transportent l’oxygène jusqu’aux organes dans de petites poches situées au-dessus de leur cul. Conséquence, lorsque tu es en déficit de globules rouges, le moindre effort te laisse plus essoufflé qu’une très vieille personne. J’ai mis deux semaines à pouvoir aligner dix pas de suite. Moi qui avais rebattu les oreilles de tout le monde avec mon accouchement idyllique chez les riches, il a fallu que cette taquine de Nature me rappelle qui était la patronne.

Message reçu, vieille reloue.

Note : Les aventures qui précèdent celle-ci sont narrées sur un autre site, Mon amie journaliste. Les billets sont intitulés « Journal d’une parturiente ».

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