Restau : les deux services

Depuis le temps qu’on m’appelle Emily, je me sens très proche de mon homonyme, celle qui officie sur Netflix. Moi aussi, j’ai un goût vestimentaire irréprochable et des amis (à peu près) bilingues. Dorénavant je ferai tout comme elle, elle sera mon guide et ma boussole. Mission du jour, dîner au restaurant. Sans réservation.

Je vais te dire pourquoi Emily est un génie : parce qu’elle se tape un cuisto. Un mec qui a ses initiales gravées sur une poêle qu’il ne lave jamais parce que c’est le secret de ses œufs brouillés. Mon mec non plus ne lave jamais la poêle, mais la comparaison s’arrête là. Il se fout de la gastronomie comme de sa première gigoteuse. Depuis que mon ami Etienne, passionné de bons produits, est parti vivre à Copenhague, je ne vais plus jamais au restau. Et donc, je n’ai pas eu vent de cette funeste nouveauté : il faut réserver – au moins – une semaine à l’avance.

Quand et comment une chose pareille s’est-elle produite ? Je n’ai pas une semaine d’avance sur ma vie. Quand un soir, un seul, Jean-Coude reste dormir chez son ami, Jean-Tibia écrase dans sa poussette, et Mathias consent à manger avec des couverts, je suis dans un état d’excitation de l’au-delà. Mais l’improvisation est un concept obsolète à Paris. C’est complet, partout. On a fini par acheter un risotto surgelé au Casino ouvert toute la nuit. Et on est rentré. Je ne peux pas décrire mon niveau de seum.

Alors j’ai réservé sa mère. Je suis allée sur le site internet d’un restau recommandé par le Fooding – réflexe des années 2000, quand je dînais encore dehors. Je consulte la carte, je découvre qu’il n’y a qu’un seul plat avec du poisson, tout le reste implique de la viande. Pour une alternative végétarienne, il est indiqué qu’il faut s’adresser au serveur – l’établissement n’est sensible ni au réchauffement climatique ni à la condition animale et emmerde le monde de manière générale. Ainsi donc je m’apprête à dépenser 60€ par personne pour bouffer du lieu noir et boire du vin naturel qui pique un peu dans un décor qui imite un café populaire. C’est parfait : je consens à cet entubage, je l’attends et je m’en réjouis.

Sauf qu’au moment de la réservation sur le site ad hoc, pas de chance, un bug. On me propose un créneau à 21H (manque de sommeil > décès précoce > bad trip) ou un créneau à 19H. Soit une heure qui imposerait que je revisite l’ensemble de mes habitudes pour devenir néerlandaise d’ici la semaine prochaine.

Je m’empare de mon téléphone. Je tombe sur le patron à qui je pardonne sa mauvaise humeur parce que c’est un métier difficile. Je lui indique que je souhaite dîner à 20H, comme l’écrasante majorité des Français. L’Insee est formelle :

Heures moyennes des repas en France (et aux Etats-Unis). Source : Insee, je te dis.

Et bien c’est impossible. Il y a deux services, dont les horaires sont mentionnés sur le site. Il veut bien prendre ma réservation par téléphone, puisqu’on en est là. Et bien fuck à toi, restau de l’enfer, avec ta « dégaine vintage » et tes « bières artisanales ». Fais-moi penser à indiquer au Fooding que je suis disponible pour mettre à jour les articles concernant les établissements du « upper Belleville », leurs portions ridicules et leur accueil glacial.

Plutôt que de dire tout ça, je réserve. A 19H. Je ne demande même pas s’il est possible de faire une place à la chariole de Jean-Tibia, je suis déjà vaincue – j’ajoute 50€ de frais de garde à ma note mentale. Les conséquences de cette décision sont vertigineuses. Annulation du dernier rendez-vous de la journée pour doucher la marmaille et l’emballer dans un pyjama. Désertion des lieux à 18H30, excuses plates à la babysitter qui va devoir coucher Jean-Coude d’une main tout en biberonnant Jean-Tibia de l’autre, traumatisme à tous les étages. Il n’y a plus qu’à espérer que ce soit le meilleur lieu noir de ma life.



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