#Test- Assister à une soutenance de thèse

Requête de Marine, avait besoin d’aide pour porter les caisses de champagne.

Quand ton amie chômeuse doute d’elle-même (oh ça peut arriver… rapport au chômage, au non-sens de la vie, au manque d’endurance sur la voie de l’ascèse…), elle se rassure en se disant que si elle a des amis aussi intelligents, c’est bien qu’il doit y avoir quelque chose à sauver chez elle (sinon ils ne me fréquenteraient pas, tu me suis ami lecteur ?).

Ainsi donc, il était hors de question que je rate la soutenance de thèse de mon ami M., qui est une des personnes sur Terre avec qui il est le plus agréable de converser autour d’un Trivial Pursuit et de plusieurs bouteilles de vin. À sa soutenance de thèse, pas de vin, certes (du moins pas pendant la soutenance), mais un jeu de société qui en vaut beaucoup d’autres.

Au centre du plateau, le soutenant. Devant lui, un jury de six vieux sages qui vont lui coller des bâtons dans les roues pendant près de deux heures pour vérifier qu’il a le droit d’accéder au statut d’érudit officiel. Dans l’assistance, des adjuvants qui n’apporteront qu’un soutien moral et désespérément muet au joueur. Et enfin, quelques thésards qui sont venus voir à quelle sauce ils seront mangés quand viendra leur tour. Ton amie chômeuse en a croisé un aux toilettes : quand je lui ai adressé la parole pour l’avertir que le distributeur de savon était vide, il m’a regardé comme si je l’avais violé, vivement que le jeune homme puisse retourner dans le monde des vivants, me suis-je dit.

Avant d’avancer ses premiers pions, le joueur a replacé la table devant lui, bu une gorgée (d’eau). C’est que cette partie là signe la fin de quatre ans et demi de travail, on n’est pas là pour déconner, l’atmosphère est un peu crispée. Il se lance. Son exposé de vingt minutes est limpide, ton amie chômeuse a presque tout compris et opiné du chef aux moments opportuns, c’était impeccable, on était à deux doigts de crier wouhou avec la copine de M. Mais non. La parole était aux vieux sages.

Le vieux sage en chef, qui ne s’est pas départi de sa veste en cuir marron façon « mon cheval est garé en bas », distribue la parole aux érudits. L’un deux sort son téléphone, mais il a la courtoisie de raccrocher après la phrase d’usage (« Ouais, ça va ? Ouais chui en soutenance là, je peux te rappeler ? »), bien élevé le gars. Un autre vieux sage partage avec l’assistance quelques souvenirs soixante-huitards sans grand lien avec la thématique mais qui sont pour lui l’occasion de replonger à l’époque bénie où les étudiants de l’école Normale étaient bourdieusiens, maoïstes ou trostkistes. Chacun se livre à une critique en deux temps que l’on pourrait résumer par « c’est drôlement bien (1), mais quand même vous êtes encore un petit scarabée (2) ».

Le vieux sage en chef reprend la parole, trois fois plus fort que ses camarades érudits pour bien attester de son statut. Silence dans le saloon, Sarah Bernhardt fait sa tirade. M. ne se laisse nullement impressionner par ce discours au charisme revendiqué prononcé d’une voix de baryton. Il répond avec calme et fermeté, comme toujours, montrant bien aux opposants qu’ils peuvent bien opposer ce qu’ils veulent, il joue déjà dans leur cour. Le verdict tombe par la voix de Sarah Bernhardt : mention très honorable avec félicitations du jury.

Mon amie P. argue que c’est pourri « très honorable » comme formule, je suis bien d’accord, mais A. nous rassure en nous disant que c’est bien la notation la plus haute que l’on peut espérer en soutenance. « C’est 20/20 ? A + ? Bonhomme qui sourit ? », oui, nous dit-elle, c’est le top du top. C’est donc de bon cœur que nous sommes allés nous saouler au buffet qui devait clore la soutenance, avec Sarah Bernhardt et tous ses potes soudainement descendus de leur piédestal pour aller s’enquiller quelques canapés. Ton amie chômeuse a trouvé que le jeu, s’il ne valait pas un bon Trivial Pursuit, n’était pas dénué d’intérêt, et s’est dit que l’incruste aux soutenances de thèses (suffit de faire semblant d’être thésard soi-même) était une bonne façon de s’instruire à peu de frais.

 

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