L’Enfer d’Henri-Georges Clouzot

Requête de Capucine, comédienne, c’est bien une idée de comédienne, tu me diras.

Inutile de chercher dans vos mémoires de cinéphiles, amis lecteurs, l‘Enfer d’Henri-Georges Clouzot n’est jamais sorti en salles. En fait, il n’a jamais été monté, et il n’a pas vraiment été tourné non plus : c’est un non-film. C’est l’histoire de cet échec que Serge Bromberg a cherché à raconter à travers ce curieux documentaire.

En 1964, Henri-Georges Clouzot obtient de la Columbia un budget illimité pour tourner un projet qui lui tient à cœur : il s’agit de l’histoire de la jalousie maladive d’un homme (Serge Reggiani), pour sa femme (Romy Schneider, 26 ans à l’époque).

Le réalisateur se lance dans des préparatifs interminables : chaque scène est dessinée, analysée, pensée et repensée jusque dans ses moindres détails, des musiciens électroacoustiques travaillent déjà à l’ambiance sonore que Clouzot veut révolutionnaire, les meilleurs techniciens testent de nouvelles façons de filmer et se lancent dans des effets surréalistes… Il faut que tout concoure à faire ressentir la déformation de la réalité dont souffre le personnage par jalousie.

Clouzot est insomniaque et exige une disponibilité totale de la part de ceux avec qui il travaille. Il épuise Serge Reggiani, le fait courir des heures pour filmer une scène de quelques minutes. Sous sa caméra, l’innocente Sissi se transforme en diablesse sensuelle et mystérieuse.

Le réalisateur multiplie les prises et semble lui-même se perdre dans les affres de la folie qu’il veut filmer, son équipe n’arrive plus à le suivre. Reggiani finira par quitter le plateau et Clouzot sera victime d’un accident cardiaque. #Fail, comme on dit.

Des années plus tard, Bromberg décide de faire vivre les kilomètres de pellicules muettes abandonnées après le naufrage et d’en révéler les images que l’on annonçait incroyables. Les témoignages des anciens collaborateurs (et notamment Costa-Gavras et Catherine Allegret) se succèdent et brossent peu à peu le portrait d’un génie créateur qui glisse vers la mégalomanie.

Pour donner vie au texte, Bromberg a fait le pari audacieux de faire jouer certaines scènes par Jacques Gamblin et Bérénice Béjo, sans décor, très sobrement. On est un peu dérouté au début, on pense même au théâtre des Farfadets d’Elie Semoun pendant un instant (voir lien plus bas), mais en fait ça fonctionne.

Ton amie chômeuse s’est interrogée sur ce jusqu’au-boutisme qui a mené Clouzot (et son entourage) aux limites de leur santé mentale et physique, et sur le danger qu’il peut y avoir à souhaiter livrer au monde ce qu’on a en tête. Le documentaire révèle la beauté brute de cet échec, comme l’expérience d’un trop-plein de sincérité qui aurait rendu impossible l’accomplissement final de l’œuvre.

L’Enfer d’Henri Georges Clouzot
Documentaire réalisé par Serge Bromberg, Ruxandra Medrea

Liens et infos utiles :

Le film a eu le césar du meilleur documentaire, on s’en fout mais on le dit quand même.
Il est disponible en DVD.
Des extraits et photos ici.
Et surtout, le théâtre des Farfadets (un must).

 

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9 commentaires

  1. Pas vu, mais tenté. Il y a quelques bon film sur des film qui n’ont jamais vu le jour (ex : Lost in la mancha sur le film que Terry Gilliam n’a jamais pu finir)
    ps : problème sur le lien « Des extraits et photos »

  2. Tiens j’ai hésité à le regarder l’autre jour sur la VOD (oui je sais ma vie est fascinante…).
    J’avais été très troublée par les images de Romy Schneider dévoilées lors de la sortie du docu : très irréelles et donnant pleinement la mesure du malaise ambiant je trouve.
    Sinon il y a eu un film de Chabrol avec Emmanuelle Béart et François Cluzet d’après ce scénario non ?

    1. @ethanol : en fait, les trois rubriques (ascète, expériences, érudite) sont trois blogs différents (oui, je ne suis pas exactement fortiche en informatique, donc c’est un peu du bricolage). Si tu veux recevoir les RSS de tous les billets, il faut t’abonner aux trois blogs (sorry !!).
      @Bulles d’infos : je ne savais pas qu’il y avait un Chabrol sur le même scénar ! (Je ne sais même pas si j’ai déjà vu un Chabrol… )
      Merci pour vos lumières, tous les deux !

  3. Ça y est, vu. Vraiment bien. J’adore ces histoires de tournages qui partent en vrille et qui des fois donne des chefs-d’œuvre (la ruée vers l’Or de Chaplin, Apocalypse Now) ou rien du tout comme ici.
    La partie sur les recherches visuelles, avec prisme et tout le bazar, et un grand moment de psychédélisme des années 60 et on se rend compte que l’on a revu par la suite beaucoup de ces effets pour des scènes un peu ‘border’ (personnage bourré ou drogué). Et certains plans extraits du film, je pense en particulier à la course à pied de Reggiani et d’un jeune homme inconnu sont d’une beauté sidérante (léger ralenti et travail sur la profondeur de champ étourdissant).
    Merci encore pour le conseil
    PS : pour les flux RSS, essaye xfruits pour agréger tes 3 flux

    1. @ethanol : contente que ça t’ait plu !
      Merci pour le conseil pour les flux RSS, je transmets à qui de droit (ou à qui de capacité intellectuelle et pratique, plutôt).

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