Zazie en Cityscoot

Ami lecteur, s’il y a bien une chose dont je me suis rappelée au cours du mois et demi qu’a déjà duré cette grève contre la réforme des retraites, c’est à quel point j’aime le métro parisien. J’aime sa fiabilité épatante (sauf sur la ligne 13, bon). J’aime lire sur ses banquettes, m’endormir la tête contre sa vitre sale et parier sur la couleur des chaises sur le quai de la prochaine station. J’aime écouter les histoires que se racontent les ados et m’immiscer dans l’intimité de mes voisins en lisant leurs SMS. Depuis début décembre, j’ai essayé de combler le manque et surtout de me déplacer sans son concours. Quelle catastrophe.

5 décembre, les voitures

Dès le début du mouvement contre la réforme des retraites, Uber a révélé son vrai visage en multipliant le tarif de ses courses. Pour aller assister au spectacle Gruss au bois de Boulogne, Uber annonçait 80 €. J’ai payé moitié moins cher en taxi.

Sauf qu’il ne faut pas rêver. De leur côté, les taxis parisiens ont repris leurs vieilles habitudes en refusant de prendre les clients dont la tête ne leur revient pas ou qui ne vont pas dans une direction qui les arrange. Après m’être jetée sous les roues des voitures pour les arrêter, avoir intimé aux chauffeurs d’éteindre leur lumière verte s’ils refusaient de m’emmener, et m’être absolument ruinée, j’ai arrêté les taxis.

10 décembre, la marche

J’ai marché, des heures et des heures. J’ai renoncé à tout style vestimentaire, mettant mes baskets tous les jours, ainsi qu’un infâme coupe-vent – que je portais sous la non moins infâme doudoune sans manche Uniqlo.

Crois-le ou non ami lecteur, il y a eu des embouteillages de piétons sur les trottoirs et des gens qui râlaient en se doublant ; ça m’a rendue encore plus nostalgique des escalators du métro.

Quand il pleuvait, c’est à dire assez souvent, notre transhumance prenait des allures de campagne de Russie. Les vieux, les infirmes et les poussettes étaient à la traîne, luttant contre le vent, s’arrêtant parfois sous un abri dans l’espoir d’un bus qui n’arriverait jamais.

Mais le vrai problème, c’était qu’un rendez-vous au sud de Paris m’occupait la journée entière. Il a bien fallu, au bout d’un moment, que j’essaye de regagner un peu d’autonomie et d’efficacité.

15 décembre – passion Vélib

Déjà, le vélo n’a rien d’une évidence pour ton amie chômeuse – j’ai appris à en faire à l’âge où les autres achetaient leur première mobylette. Encore aujourd’hui, je ne sais pas lâcher une main pour indiquer que je tourne. Alors je fais des mouvements pas très explicites avec ma tête, ce qui peut être confondu avec un syndrome de la Tourette. Si je me suis abonnée à Velib, c’est que j’étais désespérée.

Je sais ce que tu vas me dire ami lecteur, je l’ai fait au même moment que des milliers d’autres galériens, ce qui a dû orienter mon appréciation du service.

Babtou fragile

Quand tu prends un Velib, tu ne peux pas voir si la roue avant est en bon état. Il faut le retirer de son socle pour t’apercevoir que le pneu est à plat. Sauf que le pneu étant à plat, le vélo ne rentre plus dans son garage, il n’est plus à la hauteur adéquate pour s’enclencher correctement. Ainsi, ami lecteur, tu t’échines et tu pestes en essayant de remettre le vélo défectueux à sa place initiale, le tout en sachant que chaque minute de sueur et de jurons t’est dûment facturée. Quand ils ne sont pas à plat, les vélos sont en panne ou leur chaîne a déraillé.

Un chauffeur de camion m’a vue essayer toutes les montures, les unes après les autres, d’une borne très bien achalandée en Velib pourris. Il était perché dans son habitacle, à l’arrêt, il riait aux larmes. Je l’ai haï.

Un jour où j’ai réussi à en trouver un, j’ai failli me battre avec un conducteur de scooter qui a donné un coup de pied dans mon vélo parce qu’il trouvait que je prenais trop de place sur la piste cyclable. Piste sur laquelle lui-même circulait à contre-sens. J’ai pourtant peu de goût pour la bagarre, d’habitude.

20 décembre – La trottinette, l’engin de mort déguisé en jouet

Souviens-toi ami lecteur, au commencement, je comptais plutôt parmi les trottinophiles.

La meuf à bloc

Sauf que je m’en servais pour rigoler dans des ruelles désertes aux alentours de chez moi, pas pour me déplacer d’un point à un autre.

Lorsqu’il s’agit de rouler pour de vrai, l’état de la chaussée est incompatible avec la taille des roues, tu es secouée comme un prunier, tu as mal aux trapèzes tellement tu es crispée, et bien sûr les voitures, les vélos et les scooters sont unis dans une même détestation de toi. Sauf que les trottinettes, il y en a des wagons entiers sur les trottoirs de Paris, et que j’avais besoin d’avancer nom de Dieu.

Alors un jour, j’ai bravement descendu l’avenue de la République en me chantant des chansons pour me rassurer. J’ai roulé dans un nid de poule, effectué un soleil impeccable, atterri à quatre pattes et vu le contenu de mon sac se déverser sur la route. Personne n’a de compassion pour un accidenté de trottinette ami lecteur, c’est trop ridicule. C’est seule et humiliée que j’ai ramassé mes affaires sans oser regarder l’état de mes genoux.

Nouvelle année – Cityscoot, le pompon

Il a fallu 10 jours pour que Cityscoot valide mon inscription. Le monsieur que j’ai fini par appeler m’a expliqué qu’ils étaient débordés, tu m’étonnes. Si ton amie chômeuse en était là, c’est que tous les Parisiens en étaient là.

Le jour où j’ai enfin pu tester le service, je n’avais plus que 2% de batterie sur mon téléphone (devenu un boulet depuis la dernière mise à jour ). J’ai appris par cœur le code de déverrouillage de l’engin et répété dans ma tête les étapes du mode d’emploi que j’avais regardé la veille sur YouTube. Arrivée devant le scooter, j’ai assez vite compris comment déplier la charlotte qui se met sous le casque, j’étais fière de moi. Mais les choses se sont corsées lorsqu’il a fallu retirer la béquille. J’ai donné des coups de rein comme une rodéo girl : impossible. Je suis descendue du scooter et je l’ai poussé de toutes mes forces… Il est tombé. Comme un gros insecte.

Bien sûr, je n’arrivais pas à le relever. Une dame pleine de charité a bien voulu m’aider, et en conjuguant nos efforts acharnés, nous l’avons remis sur ses roues. Je suis montée sur le machin les jambes tremblantes, me demandant si j’étais vraiment complètement débile pour multiplier ainsi les déboires avec tous les moyens de locomotion de la ville. Je ne te dis même pas combien de temps j’ai mis à me garer et à remettre la béquille, tu ne me croirais pas. Sache simplement que j’aurais plus vite fait de faire le trajet non pas à pieds, mais en rampant.

A chaque fois que j’aperçois une fille de mon gabarit sur un Cityscoot, j’ai envie de lever les bras en criant : « Pourquoi ? ».

Uber, Lime, Jump, Velib, Cityscoot : j’ai fait le tour de tous les noms débiles. Mais en fait je crois que je suis attachée à la partie « en commun » des « transports en commun », c’est con hein. J’ai, pour la première fois de ma vie, songé que je n’avais plus envie d’habiter à Paris, pas dans ces conditions. Et j’en tire la conclusion qui s’impose : la RATP conditionne mon bien-être dans cette ville. Camarades conducteurs de métros, j’espère que vous pourrez partir à la retraite quand vous le méritez.

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