Épilogue

Nous sommes dix, huit adultes et deux enfants de moins de trois ans, confinés dans une maison au milieu des bois. Ton amie chômeuse raconte son expérience communautaire.

Lundi 18 mai

Une semaine que la communauté s’est séparée. Le Canard, la Perruche, le Cygne et le Lièvre sont partis les premiers, dans la voiture réparée par Eric. Le Lion, le Paon et leur fils sont partis le lendemain. Vidée de ses occupants en 48h, la maison a fait silence.

Ballons abandonnés

Cet endroit est le seul que j’occupe encore et dont je garde des souvenirs d’enfance. Mon grand-père passait des heures dans le fauteuil en velours posté à côté de la cheminée. Le soir, il mettait des braises dans une bassinoire qu’il passait sur mon lit pour le chauffer avant que je m’y glisse. Je menais des débats interminables avec ma grand-mère pour déterminer si l’oiseau encadré sur le mur était un faisan ou un canard. J’essayais de monter les marches de l’escalier sans les faire craquer quand j’allais réveiller mon père qui dormait dans le canapé-lit vert pistache à l’étage.

Les meubles ont survécu à cette génération d’occupants. D’autres images sont désormais imprimées dans ma rétine, d’autres histoires se sont racontées sur le fauteuil en velours, le canapé pistache et les marches de l’escalier. Le confinement m’a rendue animiste ; les objets, les murs et les arbres me parlent de manière un peu plus audible qu’il y a deux mois.

En même temps que nous la vivions, nous savions que l’expérience était inédite et qu’elle laisserait des traces. Notre instinct nous disait qu’il se passait quelque chose, qu’il nous fallait être vigilants et même reconnaissants par avance – c’est peut-être ce qui nous a amenés à prier avec autant de ferveur que des moines cisterciens.

Mais quoi ? Que se passait-il au juste ? Quelque chose de l’ordre de l’épiphanie collective sur la beauté de la nature. Des réflexions sur la vie citadine, le cirque des conventions sociales, le travail. Et puis la découverte des autres, dans leur intimité et dans celle de leur couple ; à part dans les films ou dans les romans, quand avons-nous eu l’occasion d’approcher d’aussi près d’autres vies que la nôtre ?

Tout cela bouillonnait dans nos têtes sans que nous sachions encore bien quoi en faire. Nous avons cherché de quoi éclairer le chemin : en parallèle des dizaines d’articles de presse que nous avons avalés sur la pandémie et ses conséquences, nous avons regardé Together, obscure fiction suédoise sur une communauté dans les années 70. Dans le film, la fille qui s’essaye à l’amour libre finie par être mise à la porte. Nous avons bien fait de maintenir une sexualité conventionnelle.

Chacun à notre tour, nous avons lu le grand entretien de l’écrivain Richard Powers dans la revue America. Il y explique que nous ne sommes que des invités éphémères sur une planète qui appartient aux arbres. Ça nous a occupé au moins trois déjeuners.

Nous avons aussi évoqué l’idée de trouver d’autres habitations dans le coin, pour faire perdurer la communauté par-delà le confinement. Tous ensemble, comme pour un pèlerinage, nous nous sommes rendus dans la maison abandonnée découverte par le Lièvre quand il était perdu. La Perruche, qui ne perd pas le nord, en a profité pour organiser la fameuse procession dont elle parlait depuis le début. Le Paon a confectionné des couronnes avec du lierre, le Cygne a décoré la sienne avec des pâquerettes. Nous les avons mises sur la tête, tous, même le Cochon.

« Alors ? », a demandé le Lièvre en désignant le paysage d’un grand geste circulaire. Alors oui, bien sûr, il faut acheter tout de suite, nous étions unanimes.

Depuis que nous ne sommes plus que trois, les porte-couteaux animaux sont retournés dans leur boîte, qui elle-même est retournée dans le bahut. Merci à Cora, Basile, Claudia, Hugo, Clara, Geoffrey et Mathias d’avoir illuminé ce lieu de votre présence. Et merci aux deux petits représentants de la génération future. Un jour, si les arbres sont toujours d’accord pour nous prêter un morceau de leur empire, ce sera à leur tour de le faire vivre.

Le bureau du Lièvre
Le bureau du Lion et du Paon
La salle de conf call du Canard
La cuisine des enfants
L’atelier céramique
Zoom sur une création en céramique. Auteur anonyme.

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2 commentaires

  1. Bravo Elodie.
    J’ai suivi toutes vos aventures avec interêt. D’abord j’avais des nouvelles -:) Ensuite les dix épisodes sont vraiment drôles et bien vus. . Il faut en faire une série, un livre , et puis bien sûr acheter la maison perdue pour les enfants si les arbres sont d’accord! Amitiés Maman Canard.

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